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samedi 18 août 2018

«Que fût et où était le Chenla?» (Vickery 1994) partie 3 (traduction libre)

3ème partie
L'étude en cours de Jacques sur le Cambodge préangkorien, néanmoins, et la présentation de nouvelles preuves et hypothèses centrées sur ce qui avait toujours été appelé 'Chenla', en particulier les royaumes des princes qui ont laissé de courtes inscriptions sanscrites au nord et au sud des montagnes de Dangrek - Bhavavarman, Citrasena-Mahendravarman, Vīravarman, Hiranyavarman, Candravarman. Il n’est, en revanche, plus question du Chenla conquérant le Founan, mais de conquêtes distinctes par les frères Bhavavarman et Mahendravarman au sud et au nord du Dangrek, à partir du royaume de leur père Vīravarman qui s'étendait du sud de Korat à Kratié. Bhavavarman a établi sa capitale à Sambor Prei Kuk dans le centre-nord du Cambodge, tandis que Mahendravarman a d'abord accru son contrôle dans le nord-est de la Thaïlande, puis a repris le royaume de son frère à la mort de ce dernier, régnant désormais à Sambor Prei Kuk (Jacques, 1986b: 68-70). 
Comme je l'ai noté plus haut, Jacques rejette Śrutavarman et Śresthavarman. Du plus grand intérêt est l'accent mis par Jacques dans «Le pays Khmer avant Angkor» (Jacques, 1986b) sur le constat que les propres inscriptions de Mahendravarman n'impliquent pas d'activités conjointes avec son frère Bhavavarman, comme l'avait supposé Coedès. Ils suggèrent plutôt que Mahendravarman est d'abord resté avec son père, Vīravarman, quelque part entre Sambor au bord du Mékong et Stung Treng et lui a succédé. Pendant ce temps, Bhavavarman s’est lancé dans la conquête de son propre royaume plus au sud et sud-ouest entre Ta Phraya et Sambor Prei Kuk, peut-être n’est-il jamais allé vers le nord au-delà des montagnes des Dangrek, et  installa sa capitale à Sambor Prei Kuk.
D'autre part, pour toutes ses inscriptions avec le titre de 'Mahendravarman' présentes en Thaïlande et au Laos, Citrasena-Mahendravarman semble avoir agrandi son royaume au-delà des montagnes des Dangrek. Puis à la mort de Bhavavarman I, probablement vers 600, Mahendravarman a repris la direction de ce dernier royaume, s'installant également à Sambor Prei Kuk. L'aspect le plus significatif de la nouvelle lecture de Jacques est qu’il situe la région de résidence initiale de ces deux rois ainsi que de leur père Vīravarman à l’intérieur du Cambodge, au sud des montagnes des Dangrek.
 Les nouvelles lectures de Jacques sur les inscriptions des chefs des Dangrek impliquent une réinterprétation de l'emplacement du Chenla et de ses relations avec le Founan. Avec le territoire de Bhavavarman et Mahendravarman, de leur père Vīravarman, et implicitement leur grand-père le sārvabhauma, situé dans ce qui est maintenant le Cambodge, au sud des montagnes des Dangrek, et avec Śrutavarman et Śresthavarman rejetés comme personnages mythiques, il n'y a plus lieu de soutenir le postulat d’un Chenla conquérant le Founan depuis Champassak ou du nord des montagnes des Dangrek. La description chinoise du Chenla au "sud-ouest du royaume de « Lin-i », et donc implicitement au nord-est ou au nord du Founan n’exige pas de le placer plus au nord du Cambodge actuel, et le texte Chinois exposant que Īśāna [varman], fils de Citrasena, qui a établi son autorité sur le Founan, résidait dans la ville de Īśāna [pura], le situe précisément où, selon Jacques, son oncle Bhavavarman et son père Citrasena avaient résidé. Le texte chinois (Ma Touan-lin, 1876: 477-83) n'implique aucun déplacement significatif du centre du Chenla vers la fin du 6ème ou au début du 7ème siècle (Coedès, 1964: 130-3, 1968: 68-70).
En outre, une nouvelle étude de l’inscription K506 et la découverte du K1150 (Jacques, 1986b: 79-81) ont, à présent, relié directement le roi Īśānavarman, et implicitement ses prédécesseurs, avec la famille des fonctionnaires de Ādhyapura du K53, qui témoigne de la continuité politique Founan-Chenla. Īśānavarman était le père de Śivadatta, qui figure en importance dans le K54, apparemment un autre écrit de la même famille, car selon Coedès, il est " inséparable " du K55 enregistrant la nomination d'un gouverneur, probablement Simhadatta mentionné dans le K53, dans leur ville Âdhyapura. Īśānavarman était aussi le père de Bhavavarman II, annoncé comme le plus jeune frère de Śivadatta dans le K1150, ce qui signifie que Bhavavarman, bien qu’absent de la liste des rois du K53, était également de leur famille, et était probablement le Bhavakumāra cité comme un participant aux actions de son frère aîné Śivadatta rapporté dans le K54.[1]
Avec les parcours de Bhavavarman I et Citrasena, ainsi que de leur père Vīravarman, situé définitivement à l’intérieur du Cambodge au sud de la chaine des Dangrek, et voyant Īśānavarman et Bhavavarman II en tant que proches parents de la famille selon le K53 qui commença son histoire en tant qu’officiels du Rudravarman du Founan, il est encore une fois raisonnable de supposer qu'il était l'ancêtre sārvabauma rapporté dans les inscriptions du nord. Les «chefs des Dangrek» étaient bien des conquérants, ou au moins des conquérants potentiels, mais pas du sud (Founan) par le nord (Chenla), mais plutôt dans l'autre direction. Ils représentent la première réaction de chefs cambodgiens au déclin du 'Founan' occasionné par la modification des routes maritimes du commerce en Asie du Sud-Est; et ceci en soi est un argument implicite contre la version d’une conquête classique. 
(suite voir partie 4)


[1] Bien que cela ne soit pas important pour le présent article, il convient de noter que Jacques a inversé l’ordre chronologique des K506 et K1150, et n'a pas porté une attention particulière à une date mentionné dans le K506. Il y a un certain Iśvarakumāra  qui se décrit comme un serviteur du roi Īśānavarman, et dit qu'il a été nommé pour gouverner Jyesthapura, apparemment le site de l'inscription. L'inscription mentionne une date équivalente à 637 AD, et ceci signifie que Īśānavarman devait être encore vivant à cette date. Autre preuve que Īśvarakumāra ne prétendait pas être un souverain indépendant, est dans son titre khmer mratāñ kloñ (Jacques, 1986b: 89), qui dans les textes pré-Angkoriens indique toujours un fonctionnaire subalterne, bien que de très haut rang. L'inscription K1150, quoique non datée, doit se situer un peu plus tard, rapporte que le gouverneur de Jyest hapura est Śivadatta, qui se présente comme un fils du roi Īśānavarman et frère aîné du mahārāja Bhavavarman, ce qui ne peut que signifier qu’il s’agissait du règne de Bhavavarman II, vraisemblablement après 637. Cette nouvelle révélation sur la parenté de Bhavavarman II signifie que mon hypothèse sur ses origines séparées (Vickery, 1986) était erronée, comme l'étaient les hypothèses antérieures de Coedès, Dupont et Jacques.