4ème partie
Le Founan était sur le déclin et n'était plus un objet
de conquête attrayant.12a
Ces dirigeants devaient chercher de
nouvelles sources de richesse à l'intérieur des terres. Les inscriptions des «Dangrek»
doivent être considérées comme des recueils d’expéditions d’explorations plutôt
que de conquêtes durables avec peu, si ce n’est aucun, effet permanent; et je
ne voudrais pas interpréter les inscriptions se rapportant à Mahendravarman comme
donnant les limites d’un quelconque royaume (Jacques, 1986b: 65, 68), qu’il
soit celui de son père ou le
sien. Je répète que tant le déplacement du centre de gravité politique et
économique que les campagnes militaires connexes à la fin du 6ème et au début
du 7ème siècle, se sont tous situés dans une direction du sud vers le nord.
Dans Coedès (1964), ce détail apparaît à la page 126,
approprié pour la date '598' (NDLR : 589 dans le livre de Coedès edition
1989), alors que la description de Īśānapura est p. 141, mais pour Ma
Touan-lin, que Coedès citait, le passage concernant Īśānapura sous le règne
d'Īśānavarman (616? -637?) et la mention de Lingaparvata figurent tous les deux
p. 483, sans indication que le second y soit antérieur. Dans la traduction
française, pages 477-487, Ma Touan-lin décrit le royaume de Īśānavarman au
présent et conclut cette section avec le paragraphe sur Lingaparvata. C'est
seulement à ce moment que nous trouvons une référence rétrospective à
"l'époque de la dynastie Sui", mais en 616, pas en 598.
Ce que Ma Touan-lin a écrit, dans la traduction de
d'Hervey de Saint-Denys, était que Lingaparvata se trouvait près de la ville
d'Īśānavarman : Īśānapura, pas à Vat Phu, et si tel est le cas, sa
localisation devrait être recherchée sur une colline voisine, peut-être Phnom
Santuk, à 30 km au sud de Īśānapura.
Cependant Coedès, se basant sur ses interprétations
d'autres sources supposant que le Chenla avait été autrefois à Champassak. Par
conséquent le Lingaparvata, associé à celui-ci, devait avoir été à Vat Phu. Une
telle association devant précéder le déplacement de la capitale du Chenla vers
la région de Sambor Prei Kuk / Īśānapura, il prit la date de 598, de
l'inscription K151, qui semble associer Bhavavarman avec cette région, signifiant
que la conquête supposée du Founan depuis le nord y avait déjà été accomplie et
le justifiant par une référence au récit de Ma Touan-lin sortie de son contexte.
De plus, Tatsuo Hoshino, travaillant directement avec
les textes chinois, a établi qu'il y avait une erreur de traduction dans le
travail d'Hervey de Saint-Denys, et qu'il n'y a aucune mention du tout au Lingaparvata
dans le sens mentionné par Coedès.
Notant que la période de Coedès : « avant 598 »
dans l'histoire de Sui, devait être une erreur, car la dynastie Sui a été
fondée seulement en 598 et son histoire ne commence donc qu’à ce moment.
Pour Hoshino Ma Touan-lin a réellement écrit
ceci : « près de la capitale est un mausolée Jia bo po (ou
Kia-po-p'o) qui est à la forme d'une butte .... sur son sommet se trouve un
temple .... [à] l'est de la ville, il y a (un temple pour) le dieu nommé Po duo
li (P'o-to-li) ... », qui était supposé signifier Bhadreśvara (Hoshino,
1986: 23).[1]
Claude Jacques (1986a: 61) a noté l'erreur de Coedès
dans la date, mais n'a pas réalisé sa signification, en le considérant
simplement comme un «lapsus», non une tentative de remodelage des données
historiques. Le mausolée en forme de butte doit avoir été un des premiers temple-
prāsāda dont la taille était exagérée dans les rapports qui finalement parvinrent
aux oreilles de Ma Touan-lin quelques 600 ans plus tard lorsque les Chinois connaissaient
les énormes temples d'Angkor.[2]
Nous pourrions conclure :
- que le Chenla,
dans la période du Cambodge pré-Angkorien (incluant la division en «terre» et
«eau» du Chenla), était dans l’actuelle partie centrale nord du pays ;
- que le Chenla
lors de sa prétendue vassalité au Founan a probablement bordé ce dernier, qu'il
n'y a pas eu d'invasion ni de descente des Khmers d'au-delà des Dangreks,
probablement pas même une grande conquête mais plutôt une transition en douceur
d'un type de domination politique à un autre.
En fait, puisque le Founan continuait à envoyer des ambassadeurs
en Chine au milieu du 7ème siècle (Coedès, 1964: 123, 1968: 65), quelques-unes
des inscriptions du début du VIIe siècle dans le sud du Cambodge, y compris
certaines nommant Īśānavarman, pourraient être «Founanaise».
Cette nouvelle localisation du Chenla met fin à l'idée
d’une soudaine intrusion de la langue khmère dans une zone dominée par les
langues Pearique et Katuique (NDLR : branche môn-khmer des langues austroasiatiques), suggéré
par Dupont (Dupont, 1943-46: 43, 1952-54: 139-41). L'utilisation importante du
Khmer dans les inscriptions du septième siècle, sans mélange significatif d'autres
langues que le sanskrit dont une part importante était déjà assimilée au khmer,
indique que le khmer a été la langue du centre et du sud du Cambodge pendant
des siècles.[3]
Elle nie également le concept directement opposé de Michel
Ferlus d’un Chenla de la Terre comme zone de langue Katuique, lié à l’hypothèse
d’un Chenla sur le "Moyen Mékong" (Ferlus, 1992: 58).[4]
Non seulement la localisation est mauvaise, mais le corpus épigraphie khmère
pré-angkorien plutôt important montre peu sinon aucune influence Katuique.
À cet égard, Hoshino révèle un autre détail important,
de la Nouvelle Histoire de Tang, concernant le 8ème siècle:
"Zhen la [Chenla] s'appelle aussi ... Ji Mie ". Une interprétation
plausible de l'ancienne prononciation de 'Ji Mie' peut être rapproché de
"K'it Mat (cantonais)", "Kiêt Miêt (vietnamien)" et
"Kiat Biat (Amoy)", ce qui suggère, plus que tout autre, 'Khmer'
(Hoshino, 1986: 25-6).
[* Cela
correspond très bien à l'observation de Geoff Wade (communication personnel),
que les caractères lus en mandarin comme Zhen la 'Chenla' sont prononcés
en Hokkien (NDLR :
Hokkien = groupe dialectale du Sud Min parlé dans la province du Fujian dans le
Sud-est de la Chine, Taiwan, Malaisie, Singapour, Indonésie et d’autres parties
de l’Asie du Sud-Est) 'Tonle' /
Angkorean Danle, ce qui conforte la localisation du Chenla à l’intérieur du
Cambodge. *]
(suite voir partie 5)
12a Michael Vickery, «Founan revisité
: déconstruire les anciens» BÉFEO , 90-91, 2003-2004, pp. 101-143
[1] Peut-être est-ce un exemple de la
«négligence habituelle» de Hervey de Saint-Denys et de sa tendance à « passer
outre certains points plutôt que de les traduire directement », notent les
sinologues (John Whitmore,"Elephants Can Actually Swim ", p. 134,
note 8, avec une citation de Pelliot extrait de "Le Fou-nan", p.
138). Je dois ajouter ici qu'en général je rejette les présuppositions et
méthodes d'utilisation des documents historiques de l'Asie du Sud-Est d’Hoshino.
Sur certains points isolés, cependant, il a contribué de nouvelles idées de
grandes valeurs.
[2] Dans la traduction d'Hervey de
Saint-Denys, il semblerait que cinq mille gardes du temple étaient en poste au
sommet de la montagne où se tenait le temple, mais la version de Hoshino
implique seulement qu'il y avait cinq mille gardes pour le temple, et aucun
temple cambodgien n'était assez grand pour accueillir cinq mille gardes à son
sommet.
[3] La présence de quelques termes Mon
dans les inscriptions khmères du sud du Cambodge plaide pour un contact étroit
entre les deux langues dans cette région; et deux termes Austronésiens,
probablement javanais, qui avaient été totalement assimilés aux Khmers
indiquent que les Khmers avaient été en contact avec les langues
austronésiennes, si ce n’est javanaises, alors Cham ou Malaise, depuis le Founan,
ou même avant le Founan (Vickery, 1992).
[4] Antérieurement, Ferlus (1977: 59-67) a également
soutenu que la langue du Founan n'était probablement pas Khmer. Il y a une
certaine incohérence, ou du moins une énigme, dans les arguments de Ferlus tels
qu'ils sont présentés. Si ni le Founan ni le Chenla étaient Khmers, où étaient
les Khmers?