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samedi 18 août 2018

«Que fût et où était le Chenla?» (Vickery 1994) partie 4 (traduction libre)

4ème partie
Le Founan était sur le déclin et n'était plus un objet de conquête attrayant.12a Ces dirigeants devaient chercher de nouvelles sources de richesse à l'intérieur des terres. Les inscriptions des «Dangrek» doivent être considérées comme des recueils d’expéditions d’explorations plutôt que de conquêtes durables avec peu, si ce n’est aucun, effet permanent; et je ne voudrais pas interpréter les inscriptions se rapportant à Mahendravarman comme donnant les limites d’un quelconque royaume (Jacques, 1986b: 65, 68), qu’il soit celui de son père ou le sien. Je répète que tant le déplacement du centre de gravité politique et économique que les campagnes militaires connexes à la fin du 6ème et au début du 7ème siècle, se sont tous situés dans une direction du sud vers le nord.
Un détail que Coedès sorti de son contexte pour son interprétation du Chenla était fondée pour une part sur une erreur de traduction et d’une autre sur un excès de confiance dans les archives d'Angkor. Coedès a écrit que l' Histoire des Sui , qui fournit des informations à partir de 598, et donc avant la conquête complète du Founan et le transfert de la capitale du Chenla vers le sud dit, « près de la capitale est une montagne appelée Ling-kia-po-p’o [Lingaparvata] au sommet de laquelle s’élève un temple consacré à l'esprit nommé P’o-to-li [Bhadreśvara] », que Coedès considérait comme étant Vat Phu près de Champassak, où en effet il y avait une fondation pour Bhadreśvara à l’époque Angkorienne et pré-angkorienne (Coedès 1964: 126, 1968: 65-6).

Dans Coedès (1964), ce détail apparaît à la page 126, approprié pour la date '598' (NDLR : 589 dans le livre de Coedès edition 1989), alors que la description de Īśānapura est p. 141, mais pour Ma Touan-lin, que Coedès citait, le passage concernant Īśānapura sous le règne d'Īśānavarman (616? -637?) et la mention de Lingaparvata figurent tous les deux p. 483, sans indication que le second y soit antérieur. Dans la traduction française, pages 477-487, Ma Touan-lin décrit le royaume de Īśānavarman au présent et conclut cette section avec le paragraphe sur Lingaparvata. C'est seulement à ce moment que nous trouvons une référence rétrospective à "l'époque de la dynastie Sui", mais en 616, pas en 598.

Ce que Ma Touan-lin a écrit, dans la traduction de d'Hervey de Saint-Denys, était que Lingaparvata se trouvait près de la ville d'Īśānavarman : Īśānapura, pas à Vat Phu, et si tel est le cas, sa localisation devrait être recherchée sur une colline voisine, peut-être Phnom Santuk, à 30 km au sud de Īśānapura.


Cependant Coedès, se basant sur ses interprétations d'autres sources supposant que le Chenla avait été autrefois à Champassak. Par conséquent le Lingaparvata, associé à celui-ci, devait avoir été à Vat Phu. Une telle association devant précéder le déplacement de la capitale du Chenla vers la région de Sambor Prei Kuk / Īśānapura, il prit la date de 598, de l'inscription K151, qui semble associer Bhavavarman avec cette région, signifiant que la conquête supposée du Founan depuis le nord y avait déjà été accomplie et le justifiant par une référence au récit de Ma Touan-lin sortie de son contexte. 

De plus, Tatsuo Hoshino, travaillant directement avec les textes chinois, a établi qu'il y avait une erreur de traduction dans le travail d'Hervey de Saint-Denys, et qu'il n'y a aucune mention du tout au Lingaparvata dans le sens mentionné par Coedès. 

Notant que la période de Coedès : « avant 598 » dans l'histoire de Sui, devait être une erreur, car la dynastie Sui a été fondée seulement en 598 et son histoire ne commence donc qu’à ce moment. 

Pour Hoshino Ma Touan-lin a réellement écrit ceci : «  près de la capitale est un mausolée Jia bo po (ou Kia-po-p'o) qui est à la forme d'une butte .... sur son sommet se trouve un temple .... [à] l'est de la ville, il y a (un temple pour) le dieu nommé Po duo li (P'o-to-li) ... », qui était supposé signifier Bhadreśvara (Hoshino, 1986: 23).[1]
 
Claude Jacques (1986a: 61) a noté l'erreur de Coedès dans la date, mais n'a pas réalisé sa signification, en le considérant simplement comme un «lapsus», non une tentative de remodelage des données historiques. Le mausolée en forme de butte doit avoir été un des premiers temple- prāsāda dont la taille était exagérée dans les rapports qui finalement parvinrent aux oreilles de Ma Touan-lin quelques 600 ans plus tard lorsque les Chinois connaissaient les énormes temples d'Angkor.[2]
 
Nous pourrions conclure :
-      que le Chenla, dans la période du Cambodge pré-Angkorien (incluant la division en «terre» et «eau» du Chenla), était dans l’actuelle partie centrale nord du pays ;
-    que le Chenla lors de sa prétendue vassalité au Founan a probablement bordé ce dernier, qu'il n'y a pas eu d'invasion ni de descente des Khmers d'au-delà des Dangreks, probablement pas même une grande conquête mais plutôt une transition en douceur d'un type de domination politique à un autre.

En fait, puisque le Founan continuait à envoyer des ambassadeurs en Chine au milieu du 7ème siècle (Coedès, 1964: 123, 1968: 65), quelques-unes des inscriptions du début du VIIe siècle dans le sud du Cambodge, y compris certaines nommant Īśānavarman, pourraient être «Founanaise».

Cette nouvelle localisation du Chenla met fin à l'idée d’une soudaine intrusion de la langue khmère dans une zone dominée par les langues Pearique et Katuique (NDLR : branche môn-khmer des langues austroasiatiques), suggéré par Dupont (Dupont, 1943-46: 43, 1952-54: 139-41). L'utilisation importante du Khmer dans les inscriptions du septième siècle, sans mélange significatif d'autres langues que le sanskrit dont une part importante était déjà assimilée au khmer, indique que le khmer a été la langue du centre et du sud du Cambodge pendant des siècles.[3]
Elle nie également le concept directement opposé de Michel Ferlus d’un Chenla de la Terre comme zone de langue Katuique, lié à l’hypothèse d’un Chenla sur le "Moyen Mékong" (Ferlus, 1992: 58).[4] Non seulement la localisation est mauvaise, mais le corpus épigraphie khmère pré-angkorien plutôt important montre peu sinon aucune influence Katuique. 

À cet égard, Hoshino révèle un autre détail important, de la Nouvelle Histoire de Tang, concernant le 8ème siècle: "Zhen la [Chenla] s'appelle aussi ... Ji Mie ". Une interprétation plausible de l'ancienne prononciation de 'Ji Mie' peut être rapproché de "K'it Mat (cantonais)", "Kiêt Miêt (vietnamien)" et "Kiat Biat (Amoy)", ce qui suggère, plus que tout autre, 'Khmer' (Hoshino, 1986: 25-6). 

[* Cela correspond très bien à l'observation de Geoff Wade (communication personnel), que les caractères lus en mandarin comme Zhen la 'Chenla' sont prononcés en Hokkien (NDLR : Hokkien = groupe dialectale du Sud Min parlé dans la province du Fujian dans le Sud-est de la Chine, Taiwan, Malaisie, Singapour, Indonésie et d’autres parties de l’Asie du Sud-Est) 'Tonle' / Angkorean Danle, ce qui conforte la localisation du Chenla à l’intérieur du Cambodge. *]
(suite voir partie 5)

12a Michael Vickery, «Founan revisité : déconstruire les anciens» BÉFEO , 90-91, 2003-2004, pp. 101-143
[1] Peut-être est-ce un exemple de la «négligence habituelle» de Hervey de Saint-Denys et de sa tendance à « passer outre certains points plutôt que de les traduire directement », notent les sinologues (John Whitmore,"Elephants Can Actually Swim ", p. 134, note 8, avec une citation de Pelliot extrait de "Le Fou-nan", p. 138). Je dois ajouter ici qu'en général je rejette les présuppositions et méthodes d'utilisation des documents historiques de l'Asie du Sud-Est d’Hoshino. Sur certains points isolés, cependant, il a contribué de nouvelles idées de grandes valeurs.
[2] Dans la traduction d'Hervey de Saint-Denys, il semblerait que cinq mille gardes du temple étaient en poste au sommet de la montagne où se tenait le temple, mais la version de Hoshino implique seulement qu'il y avait cinq mille gardes pour le temple, et aucun temple cambodgien n'était assez grand pour accueillir cinq mille gardes à son sommet.
[3] La présence de quelques termes Mon dans les inscriptions khmères du sud du Cambodge plaide pour un contact étroit entre les deux langues dans cette région; et deux termes Austronésiens, probablement javanais, qui avaient été totalement assimilés aux Khmers indiquent que les Khmers avaient été en contact avec les langues austronésiennes, si ce n’est javanaises, alors Cham ou Malaise, depuis le Founan, ou même avant le Founan (Vickery, 1992).
[4] Antérieurement, Ferlus (1977: 59-67) a également soutenu que la langue du Founan n'était probablement pas Khmer. Il y a une certaine incohérence, ou du moins une énigme, dans les arguments de Ferlus tels qu'ils sont présentés. Si ni le Founan ni le Chenla étaient Khmers, où étaient les Khmers?