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mardi 8 mai 2018

Pu Combo, 5eme partie revolte de 1866-1867 la mort de Pu Combo


La mort de Pucombo.
A la date du 23 novembre 1867, on signala de Tayninh que Pucombo, revenu du Laos, rentrait en campagne. Comme on cherchait à savoir la direction qu’il avait pu prendre, la nouvelle arriva qu’il avait été tué à Compong-soai par la population de cette province, et sur l’instigation de son gouverneur poussé lui-même par le résident français, M. le lieutenant de vaisseau Pottier, qui rendit de grands services pendant cette guerre si difficile, qui usa ses forces à vouloir, malgré une faible santé, faire face à tous ses devoirs, et qui mourut quelques années après d’une maladie terrible dont il avait pris le germe au Cambodge.
Nous croyons devoir donner ici quelques détails sur la mort du célèbre rebelle qui nous tint pendant dix-huit mois en campagne, et qui finit par se rendre maître de tout le royaume, Phnom-penh et Oudong exceptés.

Les habitants de Compong-Soai avaient écrit à Pucombo, alors dans les provinces de l’Est, de venir se mettre à leur tête et qu’il trouverait en eux des auxiliaires dévoués et désireux d’aller jusqu’à Phnom-penh venger leur vénérable gouverneur, « leur vieux père, » des rigueurs et des humiliations dont il souffrait depuis plusieurs mois.
Pucombo ne perdit pas de temps ; il courut au rendez-vous suivi seulement de cent à cent cinquante de ses plus fidèles partisans, croyant bien qu’il allait trouver dans cette population guerrière de Compong-Soai les éléments voulus pour reconstituer ses armées dispersées, et recommencer sur un nouveau pied les opérations interrompues depuis plusieurs mois.
Pucombo arriva à Comptong-Thom, chef-lieu de la province de Compong-Soai, le dernier jour de novembre 1867. Ce jour-là se passa sans le moindre orage ; mais, dès le premier moment, l’habile agitateur jugea bien qu’il était attiré dans une embuscade, car, si l’on ne songeait pas encore à l’inquiéter, personne ne se présentait non plus pour l’accueillir et pour lui offrir le concours qu’on lui avait fait espérer. Enfin, en attendant les événements, il se résigna à camper avec ses hommes sous un immense banian, en face et à une centaine de mètres de la grande pagode du village.
Ce chef rebelle ne se rendait pas compte lui-même du prestige que sa personne exerçait sur les Cambodgiens, qui le considéraient comme une sorte de dieu, et il se creusait la tête pour trouver la raison de l’isolement dans lequel on le laissait, après l’avoir appelé, ou de l’indécision que l’on mettait à l’attaquer, si telle était l’intention de ceux qui lui avaient écrit. Le prestige immense exercé par cet homme sur le faible esprit des Khmers avait pour ainsi dire grandi à cette heure suprême. Les hommes les plus résolus, les chefs mêmes du complot, sentirent leur courage faiblir tout à coup en présence de cet être extraordinaire et, ce jour-là, personne n’osa faire un pas du côté où il se trouvait. Mais la nuit, les têtes fermentèrent de nouveau ; et, chose remarquable, se furent les femmes qui montrèrent dans cette circonstance le plus d’exaltation, et qui finirent par décider leurs maris et leurs frères à mettre décidément leur projet à exécution dès que le jour paraitrait.
Le lendemain, en effet, de très bonne heure, la population entière se mit en mouvement ; les hommes s’excitaient les uns les autres et se bousculaient tumultueusement du côté de la pagode. Pucombo était debout au pied du figuier sacré, entouré de ses hommes massés autour de lui sur plusieurs rangs et décidés à défendre leur chef jusqu’à la dernière extrémité. La lutte s’engagea et devint tout de suite acharnée ; les femmes étaient, elles aussi, sur le terrain encourageant les hommes, renouvelant les munitions, chargeant les armes et s’empressant auprès des blessés. Du coté des rebelles, les pertes étaient plus sensibles, mais ceux qui n’étaient pas grièvement atteints serraient leurs rangs de manière à former une sorte de rempart autour de leur maître et empêcher les balles et les flèches d’arriver jusqu’à lui. Ces malheureux ne lâchèrent pied que lorsqu’ils eurent épuisé leurs munitions et lorsqu’ils ne se trouvèrent plus en nombre pour faire face à la masse, relativement considérable des ennemis qui les entouraient ; ils essayèrent de se sauver en perçant sur un seul point la ligne de leurs adversaires, qui, à la vue de Pucombo marchant droit sur eux, ouvrirent subitement leurs rangs et lui laissèrent une issue par où il put passer, avec ce qui restait de ses fidèles serviteurs, et gagner avec eux la forêt.
Pendant cette fuite, les hommes de Pucombo furent tous pris ou tués ; quant à lui, il continuait à courir bien qu’il fut environné d’ennemis, qui n’osaient plus faire usage de leurs armes de crainte de se blesser entre eux. Enfin, un marais un peu profond s’étant trouvé sur le chemin de cette bande de forcenés, Pucombo y pénétra jusqu’à la ceinture. Il se passa alors une scène étrange : d’abord, aucun Cambodgien n’osa entrer dans l’eau pour aller mettre la main sur le fugitif ; une sorte de crainte superstitieuse les clouait au rivage et ils se mirent tous alors à faire feu sur lui de loin. Mais, soit maladresse, soit que le sentiment dont nous venons de parler aveuglât absolument les tireurs, soit, enfin, que la manœuvre du patient, qui plongeait lorsqu’on l’ajustait, réussit à le protéger, il ne reçut aucune blessure et les munitions avaient été épuisées sans aucun résultat produit. Les excitations du tam-tam, les cris de guerre poussés par les chefs, les encouragements passionnés des femmes, rien n’y fit, car personne ne se décidait à quitter le rivage.
Pendant ce temps, et au milieu des clameurs qui emplissaient le lieu solitaire où la scène se passait, deux hommes, deux pauvres esclaves, s’étaient rapprochés et avaient pris une résolution extrême : on les vit s’avancer coude à coude, comme pour se soutenir mutuellement, sauter résolument dans la mare et aller droit à Pucombo qu’ils frappèrent de deux ou trois coup de bâton, afin de l’étourdir et l’empêcher de résister, ce qu’il ne songeait guère à faire dans sa position, et ils le ramenèrent finalement prisonnier à leurs chefs. Ces deux vigoureux Cambodgiens étaient les esclaves du vieux gouverneur disgracié, et ils avaient puisé l’énergie qu’ils venaient de montrer dans la vive affection qu’ils avaient pour leur maitre.
Cette arrestation faite si aisément par deux malheureux esclaves sans qu’aucune providence ne s’interposât, ôta à Pucombo une grande partie de l’ascendant dont il avait joui jusque là, et l’on commençait à le bousculer et à l’offenser, lorsqu’il rappela avec hauteur qu’il était prince et qu’il avait droit à plus d’égards. Pourtant, on le ficela solidement et on le conduisit au chef-lieu, à Compong-Thom. Là, soit que la fatigue, ou les coups qu’il avait reçus, eussent épuisé ses forces physiques, il se montra très abattu. Il ne répondit guère aux questions qu’on lui faisait ; quelquefois, cependant, il se départait de sa réserve en faveur seulement de ceux qui employaient pour lui parler la forme de langage usitée quand on s’adresse aux princes.
Vers la fin du jour, Pucombo essaya de s’étrangler avec ses mains ; alors, on lui attacha les poignets derrière le dos, afin de le conduire vivant à Phnom-Penh et le livrer ainsi au roi. Mais une fois la nuit venue, la folle imagination des Cambodgiens se mit à travailler ; on craignit que le prisonnier, qu’on soupçonnait d’entretenir des relations avec les esprits célestes, n’échappât, bien qu’il fût lié à tout rompre, et, afin d’éviter qu’un tel miracle se produisit, on lui coupa décidément le cou.

Pucombo était de taille moyenne, petit plutôt que grand ; il était maqué de la petite vérole ; il était foncé en couleur et avait les cheveux crépus ; ses yeux étaient grands et sa voix forte ; il avait l’air grave, marchait avec lenteur et exigeait de son entourage la déférence dévolue aux rois et aux princes.
La tête de ce fameux aventurier fut mise dans un sac plein de sel et portée le lendemain à Phnom-Penh, où elle fut exposée en place publique au bout d’une longue perche.
Plusieurs des gens de Kratié qui avaient été arrêtés ou molestés par lui ou par ses gens descendirent à Phnom-Penh pour la voir. Une femme disait dernièrement en parlant de lui : « Je l’ai bien reconnu à sa tête longue, à ses cheveux crépus : Pukombo était terrible, sa voix était très forte, il commandait avec énergie. Tout le monde avait cru qu’il allait être roi du Cambodge. »
Avec Pucombo finit cette immense révolution, qui avait duré environ dix-huit mois et qui avait bouleversé de fond en comble le petit royaume khmer. On fit rentrer à Saïgon le détachement français de Phnom-Penh, et le représentant du protectorat se retrouva seul avec son aviso et un poste de quelques marins à terre.