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mardi 8 mai 2018

Pu Combo, 3eme partie : menace sur Norodom et Oudong



Lorsque Pucombo apprit les concentrations de troupes françaises en Cochinchine pour s'opposer à lui, il s’éloigna et trouva partout sur son passage les populations disposées à le suivre. Ce fut alors qu’il conçut l’espoir de conquérir le royaume et de s’emparer du pouvoir suprême.

Le moment était certes opportun pour mettre à exécution un projet aussi gigantesque, et Pucombo était homme à obtenir le résultat visé, s’il ne nous eût pas rencontrés sur son chemin. À ce moment, en effet, l’impopularité de Norodom était grande ; des douanes, des fermes, des monopoles nouvellement créés et concédés à des exploiteurs, avaient indisposé tout le monde. Pucombo promit de supprimer tout cela et de revenir aux anciens usages en matière d’impôt. Il tirait bien parti, comme on le voit, de la situation et il montra la même adresse pendant tout le temps que dura la révolution qu’il avait provoquée.

Le 2 juillet 1866, une colonne sortie de Tayninh pour faire une reconnaissance, fut attaquée dans une immense clairière par des bandes cachées dans de grandes herbes. Le prétendant essaie de surprendre nos troupes en plein midi, au moment où elles viennent de faire halte.
Les feux nourris que l’on dirigea de ce côté n’ayant pas suffi à les éloigner, on les fit charger par vingt-cinq cavaliers, le peloton de cavalerie du lieutenant Béchade. Les bandes cambodgiennes sont balayées et disparaissent dans les bois, laissant 60 cadavres sur le terrain.

Le lendemain la colonne met en déroute 300 Annamites. 
Le 13 juillet, dans une autre reconnaissance, le commandant Alleyron attaque les rebelles retranchés à Ba-Vang dans des fortifications volantes qu’il n’eut pas de peine à enlever.
Le fort de Tayninh était alors dégagé et Pucombo rejeté dans l’intérieur du Cambodge. 

À la fin de juillet, ce prétendant ne disposait pas encore de grandes ressources. Il pouvait avoir mille Cambodgiens, trois cents Annamites et une centaine de Chams et de sauvages Stiengs.
Le 18 août 1866, un combat sérieux s’engagea à Baphnom entre les rebelles et les troupes royales mal armées commandées par le Cralahom, qui obtint au début quelque avantage, mais qui fut tué malheureusement pendant l’action. Cet incident démoralisa les troupes royales qui se débandèrent et qu’on eut beaucoup de peine à rallier. Le Cralahom était un homme intelligent, brave et dévoué au roi ; sa mort fut, à ce moment, un grand malheur, car il fut remplacé par des incapables ou des traitres, qui ne firent que de très mauvaise besogne et sur lesquels il n’était pas possible de compter. Le gouvernement cambodgien n’avait guère d’autres défenseurs que nous dans les provinces situées à l’est du Mécong, mais nous devons reconnaitre qu’il faisait des efforts pour organiser la résistance dans les parties du royaume non encore envahies.
  Pucombo menace Phnom-Penh et Oudon
Vers la fin d’août, des bandes insurgées menaçaient les provinces du nord et Phnom-Penh. Le représentant du protectorat demanda du secours à Saïgon, d’où l’on envoya deux canonnières portant cinquante hommes d’infanterie commandés par un officier (250 hommes sous le commandement du chef de bataillon Brière de l’Isle). Ces navires apportaient, en outre, des armes et des munitions destinées à armer les recrues indigènes.
Dans le courant du mois d’aout, le prince Votha, troisième frère de Norodom, avait quitté Bangkok pour se rendre dans une province voisine où il avait délivré à des Siamois et à des Cambodgiens des lettres de commandement. Peut-être avait-il conçu le projet d’aller lui-même au Cambodge afin de voir si au milieu du désordre qui y régnait alors, il ne lui serait pas possible de s’emparer de quelque haute position. Mais, sur la demande du consul de France, ce prince fut rappelé à Bangkok et puni pour s’être éloigné de la capitale sans ordre.
Depuis la prise d’Assoa, les provinces du sud-ouest étaient redevenues à peu près tranquilles. Dans l’est, on se disposait à pousser Pucombo vers le grand fleuve, espérant que nos canonnières, et les troupes que le roi avait accumulées sur la rive gauche du Mécong, arrêteraient les rebelles qui se trouveraient ainsi pris entre deux feux.
Le prince Prea-kêu-féa, interné à Saïgon, voyant les embarras de son frère et les dangers qu’il courait, demanda à l’amiral de la Grandière de vouloir bien s’interposer afin de faire agréer ses services. L’amiral écrivit au roi et envoya en même temps le prince à Phnom-Penh sur un navire français. Norodom trouva que le moment n’était pas opportun de rappeler son frère et surtout de lui confier un commandement, dont il craignait peut-être qu’il fit un mauvais usage, ce qui n’eût pas été impossible si nous n’avions pas été là.
Dans le mois d’octobre, les troupes royales furent battues par Pucombo en personne à la tête de cinq mille hommes, dont sept ou huit cents Annamites. Cette affaire avait été engagée près de la petite colline de Baphnom.
Dans une proclamation datée du 5 novembre, l’amiral de la Grandière annonçait sa ferme résolution de soutenir jusqu’au bout le gouvernement régulier du Cambodge ; il engagea les habitants à faire cause commune avec nos troupes pour combattre un intriguant, un imposteur, qui avait recruté ses premiers partisans parmi les Annamites, les pires ennemis des Khmers.
Le 25 ou 26 novembre, le commandant Alleyron, de l’infanterie de marine, quitta Tayninh et entra en campagne à la tête d’une colonne d’un millier d’hommes français ou indigènes, à laquelle se joignit un mandarin fidèle , nommé Soc, qui commandait dix-huit cents Cambodgiens que l’on avait un peu équipés à l’européenne. Cet officier ne rencontra aucun obstacle sur son chemin, l’ennemi se retirant à mesure qu’il avançait. Pucombo, talonné de près, trouvait cependant le temps d’ameuter le peuple conte le roi et contre nous ; il avait révoqué et expulsé les fonctionnaires royaux et en avait nommé d’autres qui gouvernaient et percevaient les impôts en son nom et à son profit. M. Alleyron tâchait de rétablir les autorités régulières, mais c’était difficile, car les mandarins restés fidèles au roi avaient disparu.
Le 28 novembre, deux compagnies d’infanterie de marine partaient de Saïgon pour Phnom-Penh avec le commandant Brière de l’Isle, qui avait reçu l’ordre de préserver la capitale des attaques dont elle pouvait être bientôt l’objet. Mais comme la situation empirait de plus en plus, le gouverneur de la Cochinchine se décida à confier la direction supérieure des affaires politiques et militaires du Cambodge à M. le colonel Reboul, commandant des troupes en Cochinchine, qui quitta Saïgon le 17 décembre 1866. On ne pouvait certes placer de si grands intérêts en des mains plus dignes ; et nous qui avons vu ce sympathique officier supérieur à l’œuvre, nous avons le devoir de lui rendre ce témoignage en passant.
Ni les troupes royales échelonnées sur le grand fleuve, ni la croisière active des navires français, ne purent empêcher les bandes insoumises de traverser le Mécong, et ensuite le bras du lac, et de venir menacer le palais d’Oudong habité par la reine mère.
Elles furent battues près de là par un détachement français, qui leur infligea des pertes sérieuses.
À partir de ce moment, Pucombo s’établit entre Oudong et Phnom-Penh, en attendant le moment favorable d’attaquer l’une ou l’autre de ces deux places.
Ce fut vers cette époque que fut brûlée la chrétienté de Pinhalu, qui avait été le siège d’un évêché, et qui fut alors transféré à Phnom-Penh, où elle se trouve encore.

Le chef de bataillon Domange, qui commandait à Oudon, sortit dans les premiers jours de janvier 1867, avec une compagnie d’infanterie, et trois ou quatre cents Malais conduits par un jeune chef de leur race ;
il tomba à l’improviste sur le quartier général de Pucombo qui faillit être pris ce jour-là. Il y eut à cet endroit un combat très meurtrier. Afin de donner à leur chef le temps de fuir, quelques centaines de forcenés se jetèrent sur nos hommes et arrêtèrent la poursuite.
Là périrent les meilleurs chefs et les meilleurs soldats de l’insurrection ; l’armée rebelle s’en trouva désorganisée et le colonel Reboul, qui se rendit le lendemain à Oudong par terre, acheva de disperser ce qui en restait.
Après ces quelques échecs, les révoltés parurent ne plus vouloir affronter la lutte avec nos soldats et ils s’éloignèrent. Comme les marches dans un pays aussi chaud étaient mortelles pour nos hommes, on se décida à cantonner nos troupes à Oudong et à Phnom-Penh, deux grands centres approvisionnés de tout, en attendant les événements. Pendant ce temps, les troupes royales harcelaient les bandes désorganisées de Pucombo, et nos canonnières parcouraient le bras du lac, afin de leur prêter un concours moral et effectif à l’occasion.
Le commandant Alleyron, qui était arrivé jusque sur les bords du Mékong sans pouvoir atteindre Pucombo, reçut l’ordre de rentrer à Tayninh, où il arriva le 21 janvier  1867.
Au mois de février, la province de Baphnom étant de nouveau bouleversée, l’amiral de la Grandière fit connaitre au roi le dessein qu’il avait d’autoriser le prince Prea-kêu-féa à se rendre dans cette province où il était populaire et où il s’efforcerait de rétablir l’ordre.
Le colonel Reboul, dont la présence n’était plus nécessaire au Cambodge, rentra à Saïgon le 1er mars 1867. Les troupes françaises laissées dans le royaume ne se composaient plus que de deux cents hommes à Oudong et cent à Phnom-Penh.
Malgré les embarras du moment, l’amiral de la Grandière ne perdait pas de vue les mesures destinées à faire prévaloir dans l’avenir notre influence dans ces contrées : c’est ainsi qu’il écrivait, à la date du 1er mars 1867, à son représentant à Phnom-Penh de tâcher d’envoyer à Saïgon de jeunes Cambodgiens pour être instruits gratuitement dans les écoles françaises.
  (fin de la 3eme partie)