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dimanche 23 décembre 2018

1885 - L'insurrection régions de Kompong-Svay, Tbaung-Khmum, Kratié, Sambor partie 3 : Les débuts de l’insurrection

Dans les premiers jours de l’année 1885, les autorités françaises des postes situées sur les rives du Mékong commencèrent à s’alarmer des indices de soulèvement armé dans la région comprise entre Kompong Cham et Kratié. En fait, si l’on en croit un rapport daté le 9 janvier, les préparatifs d’insurrection étaient déjà achevés et la surprise fut complète. Les renseignements fournis le lendemain de la première attaque indiquent que : « depuis trois mois environ (octobre 1884) des pourparlers ont eu lieu dans tout le haut fleuve entre les bandes de Siwotha et les habitants par l’entremise d’émissaires, dont un, Kông, nous est connu. Il agissait dans l’arrondissement de Thbaung Khmum, ce que voyant le Snang Sek envoya six de ses parents dans le haut fleuve de Sambok-Sambor et Siembauk pour avoir des renseignements. Il y a 15 ou 20 jours trois de ces individus revinrent et lui déclarèrent qu’un soulèvement général se préparait. On devait attaquer à la fois Sambor, notre poste extrême, Krauchmar presque sans défense et Kompong Cham où nous n’avions encore que 17 miliciens et pas de télégraphe ».
Mais ce Snang Sek, informateur des autorités françaises ignorait les effectifs et les chefs des insurgés ou refusait de les révéler. Il s’étonne d’ailleurs que rien de leurs projets n’eût transpiré car « tout le pays devait en être informé mais vous n’avez pas assez de forces ici et personne n’a voulu se compromettre ; cela ne m’a pas étonné outre mesure ».
L e résident français de Kompong Cham apprend que Sambor et Krauchmar doivent être attaqués le 8, que des troupes d’insurgés se rassemblent dans la province de Stung Trâng, qu’une autre serait sur la route de la future ligne de Krauchmar à Kompong Thom. Kratié envoie un message inquiet : « On me dit que Siwotha avec une bande pas très nombreuse mais qui pourrait se renforcer en route descend de Kompong Svay. Suis toujours ici sur le qui vive, mais jusqu’à ce moment tout paraît tranquille. Et vous ? ».
En réalité les postes reçoivent les nouvelles les plus contradictoires sur les mouvements des insurgés et sur le soutien que les mandarins apportent à ceux-ci. Ainsi un officier français propose que le balat krom Prak « en qui il a toute confiance » soit nommé gouverneur de Kompong Cham et, le même jour, le résident est informé « qu’à deux heures de cheval de PeamChikâng, à un endroit appelé Ma-Man se trouvent depuis quelques jours deux mandarins, le chau Krom Kê et le balat Krom Prak, que tous deux devaient avoir des lettres du second roi ou des princes et qu’ils engageaient les populations à se tenir tranquilles encore quelques jours, tout le Cambodge devant se soulever d’ici peu. Kê même aurait plusieurs fusils »… !
On arrête quelques comparses, par exemple « Dy le métis chinois, Kông le recruteur et Um qui a facilité la tâche de Krong » (sic). Tous les rapports français déclarent avec quelques naïveté : « nous avons envoyé des espions dans toutes les directions », à Thbaung Khmum, à Kompong Svay, à Choeung Prey.
Or au retour, ces « espions » déclarent tout bonnement qu’ils n’ont rien vu, ou encore qu’ils ont appris la présence d’une bande d’une dizaine d’hommes. En fait les uns et les autres s’évertuent à rassurer les Français, lesquels entendent avec plaisir ce qu’ils souhaitaient entendre.
Dans le rapport déjà cité nous relevons deux paragraphes particulièrement significatifs : «  Quant aux autres (suspects), le balat Srey, le balat Ma, le Chauvai Nut de Stung Trâng, je suis certain qu’ils seraient pour quelque chose (dans les préparatifs de l’insurrection), mais ils ont agi comme tous les indigènes en pareil cas. Ils entendaient se mettre du côté du plus fort, quitte à changer ensuite. L’excuse de leur conduite est celle-ci : « Vous n’étiez pas en force et malgré notre désir de nous mettre avec vous, nous avons une famille et des intérêts à garder ».
« Les derniers renseignements parvenus du reste me confirment dans cette idée : il y a en effet fort peu de Cambodgiens parmi ces bandes. Elles sont composés de gens sans feu ni lieu. Les indigènes malgré tout viennent à nous, les affaires que je vois m’en sont une preuve. Ils m’ont demandé du reste l’installation de nouveaux fonctionnaires ».
Les événements se chargeront vite de montrer ce qu’il fallait penser de cette analyse du climat politique. Mais il serait faux de croire que les démentis infligés par les faits puissent servir de leçons aux autorités coloniales de quelques pays que ce soit. Les rapports établis par les plus brillants officiers de renseignements américains disposant de crédits fabuleux, de machines à détecter le mensonge, de fichiers et d’ordinateurs donnent, en 1967, sur la résistance nationale vietnamienne, des aperçus beaucoup plus invraisemblables que ceux qu’en 1885 un malheureux capitaine français d’infanterie coloniale isolé à Krauchmar pouvait fournir sur le mouvement insurrectionnel cambodgien…
Le succès de cette insurrection nationale de 1885 exigeait le secret dans ses préparatifs et, dans son exécution, la dissimulation constante de leurs sentiments pour tous ceux, du roi au simple paysan, qui étaient en relations avec l’adversaire. Dans toutes les guerres populaires pour l’indépendance, la lutte politique clandestine contre l’occupant ou l’envahisseur impose d’ailleurs une maîtrise de soi de tous les instants à ceux qui la mènent. Or, en ce domaine, le roi Norodom, les princes et les mandarins avaient hérité d’une expérience quatre fois séculaire qui avait permis au royaume de survivre aux invasions siamoises et vietnamiennes. Qu’importaient donc les sourires et les paroles les plus aimables puisque le cœur n’y participait point et que le seul but était de tromper un adversaire disposant temporairement de la force.