L’insurrection de 1885
(Kompong-Svay et Tbaung-Khmum)
D’après l’article de Charles Meyer paru dans Revue
Cambodgienne n°11 et dans le journal « Cambodge » du 26
mars au 1er avril 1968 ainsi que ce qui en a
été rapporté par Adhémard leclere dans « Monographie de
Kratié » et Auguste Pavie
Chronologiquement, le mouvement insurrectionnel de 1885 dans les
provinces situées au nord de la capitale précède de deux mois
celui de Tréang – Kampot. Mais son origine – la réponse à la
convention du 17 juin 1884 imposée par la France – est identique.
Et, bien entendu, le roi Norodom en est également l’instigateur et
l’âme.
L’insurrection dans Kompong Svay, Thbaung Khmum et Banam présente
toutefois certaines particularités tant politiques que militaires.
Parmi celles-ci figure le rôle qu’y joua le prince Siwotha
brouillé avec le roi son frère depuis vingt-cinq ans. On se
souvient qu’à la mort de Ang Duong en 1860 les intrigues siamoises
avaient réussi à provoquer une crise extrêmement grave entre
l’Obbarach Norodom qui venait d’être élu roi du Cambodge et son
jeune demi-frère Siwotha (ou Vey Vottha) qui avait levé l’étendard
de la révolte armée. Les forces royales l’avaient emporté
d’extrême justesse puis, en 1863, le traité signé entre le roi
et Napoléon III était venu mettre fin aux ingérences de la cour de
Bangkok et anéantir les espoirs de Siwotha.
Malgré toutes les avances et toutes les promesses du roi Norodom, le
prince rebelle ne s’était jamais soumis. Finalement, entre les
deux frères s’était établi une sorte de modus-vivendi :
Siwotha se fixait dans la province de Kompong Svay où il comptait
des partisans mais renonçait à comploter ; de son côté le
Roi consentait à l’oublier, à ne pas lui faire sentir le poids de
son autorité. Pourtant en 1885, sans qu’il y ait eu réconciliation
officielle, Siwotha apporte officiellement son soutien à
l’insurrection dirigée par le roi Norodom.
Tout se passe comme si un accord tacite avait été conclu entre le
souverain réaliste et le prince romantique pour défendre le Trône.
Cette participation de Siwotha à l’insurrection nationale était
un coup de maître du roi Norodom, elle n’était pas sans risque.
Pour le roi, il s’agissait d’avoir un chef de guerre ayant une
certaine autorité et de pouvoir demeurer lui-même insoupçonnable
dans son palais. Or nul n’aurait songé à accuser le roi de
transmettre ses ordres à un prince insoumis au pouvoir royal…
Quelques Français supputèrent bien que la réalité pouvait être
très différente des apparences, mais les preuves manquaient.
Le but du roi Norodom n’était pas de livrer de sanglantes
batailles aux troupes françaises, mais simplement de convaincre les
autorités politiques du protectorat qu’il leur était impossible
de lui retirer l’administration du royaume dès lors que le peuple
ne reconnaissait d’autre pouvoir que le sien. Cette stratégie
politique était le fruit d’une longue expérience accumulée
depuis plusieurs siècles. En effet le Cambodge doit sa survie
exclusivement au fait qu’il ne connut jamais le vide politique car,
même durant les périodes d’occupation siamoise ou annamite, même
pendant les guerres civiles où l’autorité royale ne pouvait
s’exercer, le Trône du Cambodge demeurait le symbole de l’État.
L’insurrection nationale de 1885 plaçait les Français devant un
choix : accepter le fait du pouvoir royal et composer avec lui
ou abolir la monarchie par la force et imposer un régime
d’administration directe comme les britanniques en Birmanie. Ils
adoptèrent la première solution mais à partir du début de ce
siècle supprimèrent la majeure partie des attributions royales.
En fait jusqu’en 1949, le Cambodge était sous régime colonial
mais le trône demeurait, pour le peuple le seul symbole de la nation
khmère et s’est effectivement au Roi que la France restitua les
attributs de l’indépendance complète en 1953.