(extrait de la monographie de la province de Kratié – 1908 -
Adhémard Leclerc)
La province de Kratié fut l’une des huit provinces fondées le 27
octobre 1884, par M. le gouverneur de la Cochinchine Charles Thomson
et publie au Journal officiel de la Colonie dans son numéro
100, daté du 16 décembre de la même année. Cette décision, on le
sait, était prise en exécution de la convention (art.1, 2, 3, 4, 5,
6 et 10) passée à Phnôm-Penh, le 7 juin 1884, entre sa Majesté
Norodom, roi du Cambodge et le représentant de la République
française, M. Charles Thomson, alors que M. Klobukosky était
directeur de l’intérieur et M. Fourès, représentant du
Protectorat par intérim, en l’absence de M. Aymonier, en mission
au Laos.
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Nouvelles provinces de 1884 |
Au
texte de cette décision, la nouvelle province de Kratié était
composée de cinq anciennes provinces et formait deux
arrondissements : Sâmbaur et Sâmbok, qui formaient
l’arrondissement de Sâmbaur ; Kratié, Kanchor et Chhlaung,
qui composaient l’arrondissement de Kratié (art. 2 de la
décision).
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Anciennes provinces |
Un résident devait être installé au chef-lieu de la nouvelle
province et un vice-résident au chef-lieu du second arrondissement.
M. Jules-Victor Rénaud, capitaine d’infanterie de marine,
administrateur des affaires indigènes de Cochinchine, fut, par
décision datée du 8 novembre 1884, mis à la disposition de M.
Fourès et désigné pour l’administration de la province de Kratié
(Journal officiel de Cochinchine, 18 novembre 1884, p 1341).
Nommé
le 8 novembre à la résidence de Kratié, M. Rénaud ne prit
possession de son poste qu’un mois après, le 6 décembre 1884.
C’est la canonnière Le Coutelas qui l’y transporta.
Le lendemain, l’Aigle mouillait devant Kratié et débarquait M.
Bidet, secrétaire de résidence et 60 miliciens annamites, recrutés
à Phnom-Penh parmi les vagabonds et qui devaient causer mille
ennuis, déserter, voler, troubler la petite ville de Kratié pendant
deux ans.
Aucune installation, même provisoire, n’existait et M. le résident
Rénaud dut s’installer à la Régie, chez le préposé, M. Mothe.
M ; Rénaud y installa les bureaux et son secrétaire. «
Nous avons chacun une chambre, servant en même temps de bureau »
écrivait-il le 14 décembre.
Ce terrain immédiatement désigné comme favorable à une
installation définitive, bien abrité et suffisamment planté de
beaux manguiers, vaste et plat, fut évacué par l’ex-oknha Pén,
ancien gouverneur, et par sa famille. Ils démolirent leurs maisons,
emportèrent les matériaux et furent s’établir un peu plus bas.
Ils ne réclamèrent aucune indemnité et on ne leur en proposa
point.
Les miliciens et quelques ouvriers cambodgiens furent mis sur le
terrain dégagé et en entreprirent le débroussaillement et le
défrichement.
Pendant ce temps, le gouverneur rassemblait les corvéables et
faisait couper 360 colonnes pour la future résidence dont
l’entrepreneur Baud avait entrepris la construction au prix de 8400
piastres, conformément au cahier des charges annexé à un marché
de gré à gré passé à Phnom-Penh, entre l’entrepreneur et le
représentant du Protectorat, le 30 octobre 1884.
Le
13 décembre, M. Rénaud rassemblait les fonctionnaires indigènes
des cinq anciennes provinces formant la nouvelle province de Kratié,
choisissait ceux dont il avait besoin pour administrer et adressait
au représentant du Protectorat, à Phnom-Penh, une série de
propositions tendant à l’investiture des mandarins choisis par
lui.
Le bureau télégraphique dont la création avait été décidée
était également installé à la Régie et M. Combaluguen,
télégraphiste, était alors occupé à Sambor à l’installation
d’un nouveau bureau, près du poste militaire, alors commandé par
M. le lieutenant Bellanger.
Les mandarins choisis par le Résident de Kratié « paraissaient
satisfaits et dévoués au nouveau régime » (dép. télégr.
13 décembre 1884), la province était très tranquille : Votha,
au nord, sur la frontière du Laos, paraissait seul s’agiter un
peu, mais rien encore ne décelait ses intentions. Cependant et à
tout hasard, M. Rénaud prescrivait au lieutenant qui commandait le
poste de Sambaur « de faire de fréquentes tournées dans le
haut fleuve avec 10 ou 12 hommes, d’en prescrire la sécurité aux
habitants peu nombreux de ce parage ». (Rapport du résident de
Kratié au gouverneur à Saïgon n°4, daté du 14 décembre 1884).
Son intention, de plus, était de monter lui-même à Sambaur, afin
de s’entendre avec le commandant du poste et de lui indiquer la
ligne de conduite à suivre.
On s’occupait alors de faire arrondir et raboter les colonnes
fournies par le gouverneur de la province de Kratié, de transporter
de Phnom-Penh les matériaux qu’on ne pouvait se procurer sur place
et de creuser les trous qui devaient recevoir les colonnes ; on
nageait enfin en pleine sécurité et les habitants se massaient à
l’ombre de notre pavillon, lorsque les gens de Votha parurent à
Sambaur.