J’ai juste cinq ans quand, sur l’intervention de mon oncle
Nou Chhum, l'aîné des cinq frères de ma mère et le chef de la commune, je suis
admis en classe enfantine à l'école primaire élémentaire de Chambâk, alors que
l'âge requis est généralement de neuf ans. À cette époque, dans les régions
rurales, les enfants fréquentaient surtout les écoles de pagode où
l'enseignement était dispensé par des bonzes. Mon école consiste en un seul
bâtiment en bois, construit à même le sol et couvert de tuiles rouges. Elle
comprend trois classes, correspondant chacune à l'un des cours de l'enseignement
primaire élémentaire : enfantin, préparatoire et élémentaire.
Située à l'ouest du village, connue sous le nom d'« école
de Kdei Chas », elle est en face du siège de la commune. Certains des élèves
viennent d'assez loin, par exemple du village de Boeng Ri, jouxtant la province
de Kompong Cham, et ne rentrent chez eux que le soir. Ayant apporté leur repas
de midi, ils déjeunent ensemble dans l'école même, après les classes de la
matinée. Au début, je retourne chez moi prendre mon déjeuner avec ma mère. Mais
bientôt je lui demande de me préparer un petit repas froid que j'emporte à
l’école pour déjeuner à midi avec mes camarades des autres villages. C’est
toujours un moment agréable que de partager le peu que nous avons - poissons
séchés, concombres et papayes confits, prahoc ou phââk (différentes sortes de
pâtes de poisson fermentées et salées).
M. Sarun, mon premier instituteur, est un bel homme,
originaire de la ville de Kratié, le chef-lieu de la province. Il a la
réputation d’être un maître sévère et impitoyable, et exerce une véritable
terreur sur ses élèves. En classe, il dispose de deux verges en rotin,
flexibles mais résistantes, l’une frêle et courte, l’autre plus robuste et
longue. Pour infliger aux élèves des punitions légères, il se sert de la
première. Pour les plus graves, il utilise la seconde. Il prend bien soin
toutefois de les faire disparaître chaque fois que sa classe reçoit la visite
de l’inspecteur de l’enseignement, de nationalité française, venu exprès du
chef-lieu de la province. Mais la plus cruelle des punitions nous oblige à nous
mettre à genoux sur les peaux épineuses des jaques - les fruits du jaquier, une
sorte d’arbre à pain typique du Cambodge -, les deux bras tendus au beau milieu
de la cour de l’école sous un soleil de plomb.
Les liens d’amitié noués au cours de ces années de jeunesse
sont si solides que même les vicissitudes de la politique n’ont pu les altérer.
L’exemple en est fourni par le meilleur de mes amis, Ngy Séng Korng. Jamais je
n’ai connu un garçon aussi généreux et aussi dévoué. 11 devait mourir très
jeune alors que le destin ne nous avait pas accordé l’occasion de renouer avec
les relations d’affectueuse camaraderie d’antan.
Je
me souviens comme d’hier de mon premier jour d’école, au mois de septembre
1941, en pleine Seconde Guerre mondiale. Ma mère m’a accompagné au petit matin. Après son
départ, je suis allé m’asseoir sagement à ma place et j’ai commencé à suivre
attentivement les explications du maître,
que je comprends d’ailleurs mal. Mais ma concentration
ne dure guère plus de cinq minutes. Très vite, je me mets à somnoler pour
tomber dans un profond sommeil. Heureusement pour moi, mon maître, M. Sarun, ne
m’en tient pas rigueur. Je prends garde cependant
de ne pas récidiver les jours suivants.
Après trois années d’études, à la fin du cours élémentaire,
il nous faut passer trois examens : le certificat d'études primaires
élémentaires cambodgien, son équivalent français et le concours pour l'obtention
d’une bourse gouvernementale. Je n’ai alors que neuf ans. Or l'âge requis pour
pouvoir se présenter à ces examens est onze ans. Il me faut donc tripler le
cours élémentaire pour être autorisé à subir les épreuves des trois examens,
qui ont lieu au chef-lieu du district, à Chhlong. Je les réussis sans
difficulté, ce qui me permet d'être admis au cours moyen lrt>
année à l’école primaire complémentaire de Chhlong.