La
bande qui avait pris Sambaur passa le fleuve le 15 janvier et le 18
se trouvait à Chaspok ;
le 19 elle était à Prêk-Prassap.
Le
prince Votha, qui avait accompagné cette bande avant l’attaque,
jusqu’à vingt kilomètres de Sambaur et que sa grandeur avait
retenu sur la rive droite, était remonté au Krak où il habitait
d’ordinaire.
Le 18 février, il était à Phum-Rodey, dans la
province de Poroung et le 14 mars il arrivait à Romchêk, sa
résidence depuis le commencement des troubles.
A partir du 19 janvier les postes français du fleuve échangent des
dizaines de dépêches souvent contradictoires sur les mouvements des
insurgés ; trois cents sont signalés en face de Kauchmar et à
deux kilomètres de la rive droite, six cents autres, commandés par
khun vichit prum Kean, le Sangkream decho Nong et le
gouverneur de Prey Veng, apparaissent sur le stung Thgnay.
Kompong-Cham s’attend à une attaque en force et se fortifie. Le
résident écrit au gouverneur : « Depuis le jour où
me fut signalé la présence d’une bande de 2000 hommes commandée
par Siwotha à une courte distance de la Résidence et où vous
m’avez envoyé comme renfort la « Framée » avec un
lieutenant d’infanterie de marine et 50 tirailleurs, nous avons
poussé activement l’établissement d’une défense provisoire.
Aujourd’hui nous sommes prêts et je pourrai demain continuer à
débroussailler de façon à porter à 200 mètres dans
tous les sens le terrain découvert autour de l’emplacement que
nous occupons ».
En fait, les autorités civiles et militaires françaises de Kompong
Cham ne sont nullement certaines de pouvoir résister à un assaut
des insurgés et, comme le montrent les documents reproduits
ci-après, envisagent même que les événements pourraient les
obliger à se replier sur Phnom Penh par le fleuve. Elles ignorent
pratiquement tout des plans des insurgés, de leurs effectifs et de
leur armement. Le résident écrit : « Deux fois le 16
et le 17 janvier, des bandes ont été signalées comme paraissant
venir dans la direction de Kompong Cham, sans cependant s’approcher.
Les éclaireurs chams que je tiens en permanence dans la forêt sur
les différentes routes n’ont rien eu à me rapporter ».
Les Chams sont utilisés comme éclaireurs sous les ordres du balat
Meas, mais les français se rendent compte que ces alliés ont une
tendance fâcheuse à se consacrer avant tout au règlement de leurs
querelles personnelles et à des « perquisitions » qui
sont de la simple piraterie. Quand aux Khmers sous contrôle
français, leurs sentiments vrais sont évidemment un mystère. Nul
ne sait ce que feront les miliciens en cas d’attaque des insurgés
et les mandarins civils dissimulent à peine leur hostilité.
Placé devant la résistance passive de certains fonctionnaires ou
les incompréhensibles déplacement de quelques envoyés royaux, le
résident ne sait quelle attitude adopter. Ainsi il assigne le chef
de province, dont le zèle lui paraît « trop tiède », à
bord de la canonnière « Framée » puis rend compte :
« En trois jours, il n’a pu me fournir presque rien, ni
buffles pour traîner les colonnes dont nous avons fait des défenses,
ni travailleurs pour les terrassements, et cependant nous étions
très pressés ».
D’autre part, l’administration royale semble déjà s’être
dégagée des obligations imposées par le protectorat. Les Français
arraisonnent sur le fleuve une embarcation montée par des
Cambodgiens dont un collecteur d’impôts. Or déclare le rapport :
« bien que cet individu ait une lettre de Akmaha Sena, comme
cette lettre n’était pas revêtu du cachet du protectorat, ce qui
doit toujours être, je fis une perquisition à bord de la jonque et
trouvai15 barres d’argent, 180 piastres et 290 ligatures. Ces
sommes proviennent, m’a dit Ney, l’envoyé de l’Akmaha Setta,
de l’impôt de capitation prélevé dans la province de Kompong
Cham ». Néanmoins est-il ajouté, « le montant
total ne devait certainement pas être versé entre les mains de
l’Akmaha Sena ou dans le trésor royal, car une lettre trouvée
dans les papiers du collecteur prouve que l’ancien gouverneur de
Kompong Cham en réclamait sa part… ! ». Très
embarrassé le résident français expédie argent et mandarin
collecteur au représentant du protectorat à Phnom Penh…
Le 20 janvier arrive à Kompong Cham le colonel Miramond, commandant
supérieur des troupes françaises au Cambodge, chargé de prendre
personnellement en main la direction des opérations contre les
insurgés. Le Colonel songeait à faire une reconnaissance préalable
à Vat Nokor (environ 3km du poste), mais le représentant du
protectorat lui enjoindra de marcher d’urgence « à la
rencontre des bandes ». Miramond se lance donc à la
poursuite de Siwotha dans une région qui lui est à peu près
complètement inconnue. A la tête d’une colonne de soldats
français, de tirailleurs vietnamiens, de miliciens cambodgiens pas
très surs, guidée par un mandarin requis et soucieux d’éviter
les rencontres, enfin éclairé par des auxiliaires chams, le
malheureux colonel s’épuise en marches et en contre marches.
Quelques jours plus tard le gouverneur français qui ignore tout de
sa situation et bien entendu de celle des insurgés de Siwotha,
expédiera des messages impératifs à Kompong Cham pour rappeler que
nos colonnes « ne pourront frapper des coups décisifs que
si nous leur fournissons rapidement des informations »… !
Comment obtenir ces informations, il ne le disait pas évidemment
pas.