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mardi 5 novembre 2019

1885 - L'insurrection partie 13 : Une soumission sans effet sur les rebelles de la rive droite aux ordres du prince Votha

Un mouvement d’ensemble se préparait sur Kratié, quand on apprit le 20 juin que l’obaréach venait de traiter avec les chefs de toutes les bandes de la rive gauche au-dessous de Chhlong qui, depuis cinq mois, tenaient la campagne.
Si la nouvelle de la soumission, qui se répandit dans tout le Cambodge, produisit une grosse impression sur les bandes rebelles et semblait tuer la rébellion elle-même, elle ne produisit aucun effet dans la région de Kratié.
Les bandes de la rive droite, celles qui tenaient derrière Sambaur et Kratié, celles qui occupaient Kanchhor et Chhlaung demeurèrent l’arme au pied. C’est, on le verra plus loin, que ces bandes n’obéissaient pas à la même impulsion et qu’elles servaient les intérêts de Votha et non ceux du roi Norodom.
Prise de Srê-Svay, le retranchement du mékang Kêv
Le sous lieutenant Taquenne, du poste de Kompong-Cham, était envoyé avec quarante hommes dans la région de Kratié ; le 30 juillet, il attaquait le mékang Kêv, à Srê-Svay, dans son retranchement et l’obligeait à s’enfuir en laissant sur le sol plusieurs morts et quelques blessés. Sa correspondance politique fut trouvée dans la paillote qu’il habitait. Le sergent Palas fut tué dans cette affaire. Son corps rapporté le lendemain à Kratié y fut inhumé avec les honneurs militaires.
Le 5 août arrivait à Kratié un détachement de 20 hommes d’infanterie de marine et le résident les installait dans le bâtiment de la milice.
Le 10 août, M. Rénaud, appelé à Phnom-Penh pour y faire l’intérim de représentant du Protectorat, remettait le service à M. Bidet, son adjoint. Le 16, M. Bidet, frappé d’une insolation, était dirigé sur Phnom-Penh et y mourait le 21 août. Le lendemain, M. Saintenoy, administrateur adjoint du résident de Kompong-Cham, amené par le Coutelas, prenait provisoirement la direction de la province de Kratié.
Le dépouillement de la correspondance trouvée chez le mékang Kèv apprit, ce dont on se doutait bien, que toutes les bandes de la région étaient inspirées par le prince Votha, et qu’elles n’avaient aucune relation avec celles qui avaient fait leur soumission et celles qui tenaient encore la campagne dans les autres parties du royaume. On apprit aussi que si, le 25 juin, Kratié n’avait pas été attaqué, c’est qu’un certain nombre de Birmans sur lesquels on avait compté et qui avaient une réputation de guerriers valeureux, n’étaient pas venus ; que le service d’information des rebelles était bien fait, qu’ils connaissaient très bien la marche de la colonne Taquenne et que s’ils avaient attaquée, c’est qu’ils croyaient en état de lui résister. Les cachets des dignitaires trouvés dans le retranchement portaient des détails inconnus des autorités du pays : ils avaient été imités par Votha et distribués par lui aux gens qu’il avait nommés dans les grades qu’ils occupaient parmi les rebelles.
Réoccupation de Srey-Svay par Kèv – Le mékang Kèv – Prestation du serment par les rebelles au prince Votha.
Le 12 septembre, M. Saintenoy déclarait qu’aucun acte de guerre ou de grosse piraterie n’avait eu lieu depuis le commencement du mois d’août et annonçait que Kèv avait rompu avec Votha, toujours retiré à Romchêk, sur la frontière de Poroung, et qu’il était revenu avec cinquante fusils réoccuper Sré-Svay, après avoir, au préalable, enlevé les habitants de Koh-Sompthom et de Ko-Réal, deux îles peu éloignées de Sambaur. Le résident donnait ce renseignement sur lui : « Kèv se tenait toujours à une certaine distance du combat, non, comme on pourrait le supposer, en capitaine habile pour en diriger l’action, mais pour fuir le premier en cas de danger. A l’attaque de Sambaur, il aurait simplement indiqué à ses hommes la manière dont ils devaient attaquer mais il n’aurait pas pris personnellement aucune part à l’action ».
Ces renseignements étaient faux ; Kèv demeurait le lieutenant de Votha et n’était pas l’homme que dépeignait M. Saintenoy. C’était au contraire un rebelle actif, audacieux et d’une grande bravoure. Il était le véritable chef des bandes dont Votha était l’âme. On le vit bien quelques jours après quand, au commencement d’octobre, il s’assura le concours de dix autres chefs de bandes, également très audacieux, le Piblo et le Baava-réach Mau, pour exécuter un plan d‘ensemble qui consistait à s’emparer de Kratié et de Sambaur à la saison des basses eaux, et quand, à la fin du mois, il se rendit avec les chefs de bandes à Romchêk pour y boire l’eau du serment, dans laquelle les armes du prince rebelle avaient été trempées.
En attendant, des émissaires en grand nombre parcouraient la rive gauche et la rive droite, afin de recruter des partisans. Une bande de vingt hommes paraissait à Srê-Chi, à huit heures de Kratié, sur la route de Sambok au Ban-Don (10 octobre). Le mékang Kèv revenait à Srè-Svay d’où l’avait chassé le lieutenant Taquenne le 30 juillet et y construisait un véritable fort, avec palanques et fossés ; il avait alors 200 hommes avec lui et disait-on, 150 fusils. Le résident de Kratié proposait la création de plusieurs petits postes militaires sur la rive droite et de deux autres sur la rive gauche, l’un à Chhlaung, l’autre en arrière de Sambok et de Kratié.
Création de la sous-résidence de Sambaur
A ce moment, le fort de Sambaur, admirablement construit, était imprenable pour des indigènes et confié au lieutenant Taquenne qui recevait le titre de sous-résident.
Activité du mékang Kèv sur la rive droite
Cependant que tout se préparait, Roka-Kong était incendié, Kèv parcourait la province de Sting-Trang, ainsi que les parties de Chhlaung et de Kanchhor situées sur la rive droite du fleuve, donnait des instructions partout et retrouvait d’anciens partisans et les entraînait de nouveau. Le résident de Kratié proposait une action énergique sur Srè-Svay et Romchêk, afin de détruire la bande de Kèv qui était nombreuse, bien armée, bien approvisionnée par les réquisitions et le pillage, et qui contenait un certain nombre de laotiens et de Birmans, marchand d’esclaves, pirates et voleurs de bétail.

A la fin d’octobre, M. Rénaud, dont l’intérim de représentant du protectorat était terminé, remontait à Kratié et y était frappé d’une paralysie de tout le coté gauche (1er novembre) qui l’obligeait à se faire reconduire à Phnom-Penh. Cet administrateur ne devait pas se relever ; il mourut à l’hôpital de Saïgon, en septembre 1886.

dimanche 3 novembre 2019

1885 - L'insurrection partie 12 : Ramener le calme, des soumissions sans effet


Des missions, dont il fit partie, furent organisées pour parcourir les provinces troublées dans le but d'amener la soumission de ceux qui s'étaient armés.
De Benghi à Takéo puis Vat ponlu et Phnom Penh : échec pour ramener le calme
Dans le pays de Trang, au Sud de Phnom-Penh, des chefs rebelles s'étaient retranchés dans une forêt près de Takéo, et tenaient en échec le petit poste militaire établi dans ce centre, principal marché de la région.
L'envoi d’une mission de pacification y ayant été décidé, le second roi du Cambodge chargé de la négociation, se rendit à Takèo escorté par une compagnie d'infanterie de marine; M. Klobukowski, chef du cabinet du gouverneur de la Cochinchine, qu'accompagnait M. Pavie, vint l'y rejoindre.
La majorité de la population était cambodgienne mais beaucoup de Chinois et d'Annamites s'y mêlaient. Quoique les agglomérations fussent nombreuses, Takèo à L'extrémité d'un affluent du Stung Slakou, avait seul de l'importance, aussi on avait jugé utile d'y installer un petit poste militaire, mais, malgré sa protection, les menaces des rebelles avaient fait abandonner le village par ses habitants.
La mission n'obtint pas le résultat cherché. Après l’échec des négociations, un itinéraire pour ramener la mission à Pnom-Penh les fit parcourir, dans le but d’y maintenir tout au moins le calme, la région entre Takèo et un point à I’Ouest nommé Vat-Ponlu.
Sur la rive gauche du Mékhong, de Banam à Baphnom puis Prey Veng : nouvel échec
Banam, centre commercial important, sur la branche du Mékhong nommée fleuve antérieur, au confluent du dernier des cours d'eau qui, depuis Chhlong, unissent dans le Cambodge, le Tonlé-Tauch au fleuve, était le chef-lieu de la province dans laquelle, à Prey Veng, les troubles avaient éclaté de la manière la plus grave. Il y avait quelques semaines déjà que le pays était désorganisé, que la population était en fuite, et que des bandes tenaient la campagne lorsque la mission, dirigée par M. Fourès, représentant du protectorat accompagné de M. Pavie, se mit en route pour tenter d’y rétablir la tranquillité. Il ne fut possible d'entrer en relations ni avec les bandes ni avec les habitants qui s'enfuyaient dès qu'on approchait. Devant cette attitude et pour ne pas aggraver la situation, M. Fourès ramena sa colonne à Banam après neuf jours d'absence. Quoique à celte époque de l'année la sécheresse soit très avancée, l'inondation a encore sa trace sur le terrain jusqu'aux approches des collines. L'étang de Khsach Sa, en particulier, y créait un obstacle difficile à franchir. Une passerelle provisoire en bambous y avait été établie à l'occasion de leur passage.

La province était très habitée surtout au bord des cours d'eau, autour des hauteurs, et dans l'Ouest. D'épaisses forêts joignaient le plateau de Péan-Chang aux collines de Baphnom. Une immense plaine était cultivée en rizières dans sa partie la moins basse : le reste était inculte à cause des proportions qu’y avait l'inondation, et est couvert de hautes herbes où de véritables troupeaux de cerfs, daims, chevreuils, etc., trouvent asile. La population est cambodgienne: un grand nombre de Chinois et d'Annamites, la plupart commerçants, s'y mêlent, installés surtout à Prey Veng et sur le canal qui aboutit à Banam.
Prey Veng, marché important, avait été détruit. De même, Ia plupart des villages où ils passaient, n'étaient plus que des cendres, cet état de désolation, joint à l'absence de toute la population, fit, de notre infructueuse tentative d'apaisement, la plus pénible des marches.
De Pum-Sé à Kompong_Kiam : autre échec
Celle course, dans la partie sud de la province de Tbaung Khmoum, où M. Pavie accompagnait une colonne, conduite par le résident local, organisée dans le même but que les précédentes, n'eut comme elles, d'autre résultat que le levé de l'itinéraire qui complétait l'étude topographique de M. Pavie, faite lors de la construction du télégraphe. Ce dernier trajet, n'avait pas montré le pays sous un aspect différent de celui que les précédentes marches, dans le bassin du Vaïco oriental. 
C'était la même belle plaine de rizières parsemée de villages à laquelle succédait la forêt épaisse garnissant les hauteurs, puis, en entrant dans le voisinage du Mékhong, des terres basses couvertes de bambous, soumises fortement à l'inondation et inhabitées.

De Svai Romiet à Prey Veng : Première soumission
Ce dernier voyage, effectué avec M. Klobukowski et le second-roi, dans les mêmes conditions que celui de Takèo a Phnom-Penh, reliait l'itinéraire aboutissant à Péam-Pkai-moreck à celui allant de Banam à Prey Veng.
La grosse affaire en quittant le Mékhong pour les terres de l'Est, avait été de chercher l'endroit où passer son bras, le Tonlé-Tauch dont les bords sont généralement à pic, car leur convoi était nombreux en éléphants. La profondeur ou la largeur du cours d'eau importait peu à ces animaux qui venaient de traverser le Mékhong devant Phnom-Penh, mais il leur fallait, pour y entrer comme pour en sortir, des berges en pente douce. La rivière fut lentement franchie à Misapréachan, et l’on se trouva en trois jours, après avoir parcouru un pays fertile et habité, dans les immenses plaines de Prey Veng, terres basses à l'extrême qu'en temps d'inondation une petite chaloupe à vapeur pourrait parcourir très à l'aise, et où les villages était partout où le sol un peu relevé permettait d’habiter.
Les temples bouddhistes, quand ils n'avaient pas été détruits, leur servaient de logement au cours des marches, car la saison pluvieuse avançait et il devenait difficile de camper dans les champs. A Prey Veng où leur séjour devait se prolonger, des installations en paillotes avaient été construites pour la colonne qui outre la compagnie d'infanterie de marine escortant le second roi, comptait plusieurs centaines de Cambodgiens.
Heureusement, le but, cette fois, put être atteint, les chefs rebelles de la rive gauche du fleuve firent tous leur soumission. Ce fut une satisfaction d'autant plus grande pour M. Pavie d'y avoir participé, après tant d'échecs, que cette marche devait être sa dernière au Cambodge.
L’entrevue avait eu lieu dans la forêt de Samrong-Preah-Chi, près de Kompong-Pring et 6000 hommes et 22 chefs de rebelles avaient fait leur soumission sous simple promesse de grâce.