Le
fait, que les premiers résidents, installés à la suite du traité
du 17 juin 1884, arrivèrent au Cambodge avec un personnel recruté
en Cochinchine : depuis les interprètes jusqu'aux miliciens,
affecta les populations cambodgiennes dont l'aversion était connue
pour les Annamites qui, de leur côté, les jugeaient avec une
inconcevable légèreté et leur témoignaient mépris et dédain. Il
contribua à faire écouter les fauteurs des désordres qui
montraient nos fonctionnaires comme séparés des chefs et du peuple
par un entourage détesté.
Ainsi
à Prey Veng, sur la rive gauche du Mékhong, un chef
d'arrondissement se considérant comme molesté par les agents
annamites du résident français, l'attaqua avec ses gens la nuit
lorsqu'il venait pour l'arrêter, tua quatorze de ses miliciens
annamites, le réduisit à s'échapper presque seul et se retira
ensuite dans les bois. Une colonne militaire arriva sur les lieux, se
livra à des représailles, détruisit, des temples et des villages:
la population s'enfuit. Elle devait rester plusieurs mois errante
dans la plus grande détresse.
Alors
d'autres chefs qui n'avaient pas de prétexte personnel de
mécontentement se levèrent isolément dans différentes parties du
pays. Ils laissaient entendre que de hautes personnalités
cambodgiennes les avaient mis debout ou les encourageaient. On savait
par ailleurs que les fonctionnaires, restés fidèles aux
français,
étaient l'objet des sarcasmes ou des menaces de vengeance de
personnes de la cour de Phnom-Penh. Les troubles prirent un caractère
grave.
Le
prince Duong-Chacr, fils préféré du roi, s'était fait remarquer
par son attitude hostile au cours de ces événements. Plus tard, en
1892 en
exil en Algérie,
alors
qu’il
était réfugié à Bangkok où M. Pavie représentait la France,
il
l'entretint souvent de cette
période malheureuse. Il lui montra une confusion, un regret et un
dépit qui lui parurent véritablement désespérés de n'avoir pas
su remplir alors un rôle différent.
L a
nécessité s'étant montrée urgente, d'organiser des milices
locales pour remplacer les Annamites, el le Protectorat n'ayant pas
d'hommes préparés pour ce métier, M. Pavie proposa les chefs et
les ouvriers de son équipe télégraphique. Des instructeurs
français et annamites les préparèrent, puis on nomma les uns
sergents et
les plus intelligents des autres: caporaux. Un
noyau de milice ayant une certaine cohésion se trouvant ainsi formé,
il n'y eut plus qu'à encadrer des volontaires.
M.
Pavie s'attacha à faire prévaloir de toute son énergie les idées
de modération à l'égard de populations qui obéissaient résignées
à leurs chefs, et souvent, ne comprenaient pas que, dans la
répression, on ne leur tînt pas compte de ce qu'elles ne croyaient
pas pouvoir se conduire autrement.